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Dialogue Global pour une Alternative Systémique

Le Buen vivir : une critique andine de la modernité capitaliste

Introduction

Issue des mobilisations indiennes et plébéiennes en Equateur et en Bolivie, l’exigence du Buen Vivir / Vivir Bien (Vivre avec plénitude) est, pour l’essentiel, une critique culturelle du capitalisme. Elle considère en effet que le capitalisme n’est pas simplement un système économique insoutenable écologiquement et insupportable socialement en raison des destructions, des inégalités et des aliénations multiples qu’il produit ; elle voit aussi dans ce système un modèle de vie impliquant une certaine conception des rapports interhumains ainsi que des rapports entre l’humain et la nature, et
engageant toujours une certaine réponse à la question du sens et de la valeur de la vie. Critique à l’égard de ce modèle de « vie mutilée » (Adorno) qui tend aujourd’hui à devenir planétaire et que l’on désigne souvent par les notions générales, aux contours mal définis, de vie « occidentale » ou de « vie moderne », la projet et la mémoire sociale du Buen vivir / Vivir Bien voient dans la « transformation de la civilisation » (cambio civilizatorio) une condition nécessaire pour toute sortie possible du capitalisme. Pour autant, cette critique culturelle n’implique pas nécessairement la négation pure et simple de l’« Occident » ou de la « Modernité » : ce que certains auteurs indiens—le courant dit « culturaliste » — désignent comme « Occident » ou « Modernité » se réfère essentiellement, et le plus souvent, à la forme aujourd’hui hégémonique de la modernité occidentale, à savoir la modernité capitaliste — celle-là même qui est rejetée par la modernité critique européenne depuis l’expansion du modèle capitaliste d’économie et de société au XVIe siècle. Par ailleurs, dans la perspective dite « interculturaliste », la (re)construction du Buen Vivir / Vivir Bien associe des apports culturels « occidentaux » et « modernes », tels que le marxisme, l’anarchisme, le féminisme et l’écologie1.

Contextes historiques

À la fin de la première décennie de ce siècle deux pays andins, l’Équateur et la Bolivie, engagent des processus de réforme politique qui donnent lieu à la promulgation de nouvelles Constitutions politiques, en 2008 pour le premier et en 2009 pour le second. Ces réformes définissent en même temps des orientations nouvelles pour le développement social et économique des pays, présentées dans les nouveaux Plans nationaux de Développement (en 2007 et 2009 en Équateur et en 2007 en Bolivie). Les deux Constitutions introduisent, pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle de l’Amérique latine, des termes provenant des langues natives du sous-continent : sumak kawsay, en langue kichwa de l’Équateur — traduits en espagnol dans le Préambule par Buen vivir — et suma qamaña, en langue aymara de la Bolivie, traduits entre parenthèses par Vivir bien (article 8). L’expression Buen vivir apparaît également dans la présentation du premier Plan Nacional de Desarrollo (2007) de la première administration de Rafael Correa (2007-2009), avant de figurer dans le titre même du Plan de Développement de sa seconde administration, le Plan Nacional para el Buen Vivir 2009-2013 (2009), où elle est présentée comme équivalente de sumak kawsay. En Bolivie, la notion de Vivir bien, déclinée seulement en espagnol, est mentionnée dans le Plan Nacional de Desarrollo (2006).

La présence de ces  éléments lexicaux kichwa et aymara dans des  textes constitutionnels comporte sans doute une  forte signification politique et symbolique. Elle représente une  certaine forme  de reconnaissance de la diversité culturelle constitutive de ces  deux  États-nations, et, plus particulièrement, des  cultures dites « indiennes » que  les idéologies de la modernité coloniale et postcoloniale ont traditionnellement méprisées et dévalorisées. La possibilité de cette reconnaissance est  liée,  dans les deux  pays,  au développement des  organisations et des mobilisations indiennes durant les décennies précédentes. En effet,  au cours de la décennie 1990-2000 la CONAIE (Confédération des  Nationalités Indigènes de l’Équateur) s’affirme comme un acteur incontournable sur  la scène politique et sociale du pays,  tandis que  le mouvement Pachakutik (MUPP2) devient la troisième force  politique à l’échelle nationale, avant de décliner à partir de 2003, suite à sa brève participation au gouvernement de Lucio Gutiérrez. À la chute de celui-ci  en 2005, la CONAIE et le MUPP réclament la convocation d’une  Assemblée constituante, et, en 2006, soutiennent au second tour  des  présidentielles la candidature de Rafael  Correa contre le candidat néolibéral Álvaro Noboa, qui était arrivé en tête au premier tour. Dès son accession au pouvoir Correa convoque à des  élections en 2007  pour  une  Assemblée constituante, qui va élaborer le texte de la Constitution de 2008. En Bolivie, l’avènement de la nouvelle Constitution de 2009  se rattache à l’arrivée au pouvoir en 2006  d’Evo Morales, le candidat du MAS (Mouvement au Socialisme-IPSP, refondé en 1997). D’origine rurale aymara et dirigeant du syndicalisme agraire du Chapare, Morales réussit à canaliser politiquement le mécontentement populaire qui explose en 2000  (« guerre de l’eau  » à Cochabamba) et se prolonge jusqu’en 2005  à travers des  mobilisations qui prennent parfois une  dimension insurrectionnelle (« guerre du gaz » et révolte aymara en 2003, « deuxième guerre du gaz » en 2005), provoquant la démission de deux  chefs  de l’État   — le néolibéral Sánchez Lozada et son successeur Carlos Mesa. La présidence de Morales est  une  expression du nouveau rapport de certains groupes indiens avec  le pouvoir politique et le politique en général — en particulier le groupe aymara héritier du katarisme des  années 1970.

L’inclusion de ces  notions « indiennes » dans des  textes constitutionnels et officiels  indique sans doute une  certaine forme  de reconnaissance de la diversité culturelle. Des référents axiologiques émanant d’une  culture particulière sont  présentés comme des  référents nationaux, susceptibles d’orienter l’activité de l’État  et de l’ensemble de la société. Or la conception du « vivre avec plénitude » exprimée par  sumak kawsay / suma qamaña comporte une  dimension critique des  modes de vie où les personnes se trouvent privées d’horizons de sens et de valeur et où la vie sociale se présente pour  l’essentiel comme une  guerre de tous  contre tous. Dans  la perspective des organisations indiennes et de certains de leurs intellectuels, Sumak kawsay / suma qamaña implique la critique des  modes de vie largement établis et possède, par  là même, une  signification de critique culturelle. Ainsi, dès  leur  consécration constitutionnelle, les notions de sumak kawsay et de suma qamaña ont suscité de nombreuses questions et des  débats en Équateur, en Bolivie, en Amérique latine et dans le monde, et il existe aujourd’hui une  bibliographie assez considérable à leur  sujet. Dans ces  débats, la question initiale et fondamentale concerne la signification et le statut de ces notions : que  veut  dire  et que  représente sumak kawsay / suma qamaña ?

Le Buen vivir : un  devoir-être éthico-politique

Dans  les nouvelles Constitutions politiques comme dans les Plans  de développement des  deux  pays, produits dans la période 2007-2009, la signification de sumak kawsay / suma qamaña est  clairement éthique et axiologique, et se rapporte à la qualité de la vie humaine. D’après l’article 8 de la Constitution bolivienne, qui s’inscrit dans un chapitre intitulé : « Principes, valeurs et fins de l’État  »,  suma qamaña est  un « principe éthico-moral » de la « société plurielle », au même titre que les règles aymara prescrivant de ne pas  être oisif, ne pas  mentir et ne pas  voler  (ama qhilla,  ama llulla, ama suwa) (CB chapitre II, art. 8.1).  Le texte du Plan National de Développement (PND), de son côté, indique que  le Vivir bien  est  un mode  du vivre ensemble (convivencia) où il n’y a pas d’ « asymétries de pouvoir » (p. 8) et « assurant l’accès et la jouissance des  biens matériels ainsi  que la réalisation effective, subjective, intellectuelle et spirituelle [des  personnes], en harmonie avec  la nature et en communauté avec  les êtres humains » (p. 9). À la différence du Vivre mieux  (vivir mejor), qui est  interprété comme une  manière de vivre individualiste et « occidentale » où chaque individu vit « séparé d’autrui voire  au détriment d’autrui, et séparé de la nature », le Vivre bien exprime des  « valeurs essentiellement humaines » qui, comme « l’entraide et la solidarité » doivent sous-tendre le modèle de développement de la société (p. 12). De leur  côté, les textes publics de l’Équateur soulignent surtout l’aspect « projet » du sumak kawsay ou du Buen  vivir,  présenté comme une  visée  de l’action dans la durée : dans la Constitution il est  question de « construire une  nouvelle forme  de vivre-ensemble citoyen, dans la diversité et en harmonie avec  la nature, en vue d’atteindre (para alcanzar) le Buen  vivir,  le sumak kawsay » (Préambule) ; ailleurs, il est  dit que  les politiques et les services publics seront orientés de manière à rendre effectifs (hacer efectivos) le Buen  vivir et tous les droits (Art. 85/1).  Plus loin, l’on précise que  le programme de développement comprend tous les moyens et contenus garantissant la réalisation (garantizan la realización) de la vie avec  plénitude (Art. 275),  que  pour  parvenir à la vie bonne (consecución del buen vivir) l’État  et la société sont tenus d’assumer certains devoirs et des  responsabilités (Articles 277 et 278),  et que  l’objectif  du système économique est  de garantir la production et la reproduction des  conditions matérielles et immatérielles qui rendent possible (posibiliten) la vie bonne (Art. 283).  De même, le Plan National pour  le Buen  Vivir (para el Buen  Vivir) (PNBV) explicite, dans son titre même, cette interprétation du sumak kawsay comme but  à atteindre ou encore comme idéal  normatif ; plus  loin, le sous-chapitre intitulé « Approches du concept de Buen  Vivir » réitère cette interprétation : « Le sumak kawsay, ou vie plénière (vida plena), exprime cette cosmovision [andine]. Atteindre (alcanzar) la vie plénière consiste à parvenir (llegar)  à un degré d’harmonie totale avec  la communauté et avec  le cosmos » (p. 18). Dans  les quatre documents, équatoriens et boliviens, les notions de sumak kawsay ou de suma qamaña expriment un devoir-être d’ordre éthico-politique.

À la différence de la vie bonne aristotélicienne, qui est  également un devoir-être d’ordre éthico- politique — les Grecs anciens n’établissaient pas  une  séparation absolue entre l’éthique et le politique —, le devoir-être signifié par  le sumak kawsay et le suma qamaña est  explicitement référé à un « être » spécifique, à savoir les mémoires culturelles et sociales des  peuples du centre et du nord des  Andes.  Les textes mentionnés de l’Équateur et de la Bolivie renvoient à une  mémoire culturelle andine et préhispanique du « bien  » : en dépit de l’invasion européenne  et de cinq  siècles de colonisation externe et interne, cette mémoire éthique contribuerait aujourd’hui encore à structurer la vie sociale des  peuples kichwa et aymara. Le devoir-être du Vivre bien  ou de la Vie plénière ne serait donc  pas  déterminé de manière abstraite, mais  à partir de formes concrètes de vie qui fourniraient des  éléments normatifs et axiologiques susceptibles d’orienter l’action des  personnes et l’activité de la société tout  entière vers  la recherche d’un équilibre ou d’une  harmonie, à recréer perpétuellement, entre les humains eux-mêmes ainsi  qu’entre les humains et la nature. À partir de ce présupposé, les textes publics équatoriens et boliviens présentent  le sumak kawsay ou le suma qamaña comme un modèle qui aurait une  portée nationale voire  latino-américaine et universelle. Or, qu’en  est-il  de ce présupposé, c’est-à-dire de l’existence de ces  formes de socialité réglant harmonieusement les rapports entre les humains ainsi  que  les rapports entre les humains et la nature ou le « cosmos » ?

Le Buen vivir comme projet et comme mémoire sociale

La réalité du sumak kawsay ou du suma qamaña en tant que  catégorie actuelle de la pensée morale kichwa ou aymara a été  parfois mise  en question. À un anthropologue qui lui demandait ce qu’il pensait à propos de la reconnaissance du sumak kawsay dans la nouvelle Constitution équatorienne, un Kichwa  de « la base » aurait répondu : « Qu’est-ce que  cela  peut bien  être, le sumak kawsay ? » (Bretón et al. 2014:  10-11).  D’après les chercheurs qui rapportent cette anecdote, ces  propos témoignent de la distance qui sépare le monde du « commun des  mortels » du monde des  « élites indigènes, de leurs alliés  intellectuels non-indigènes et d’une  partie du staff  technocratique du gouvernement » (Idem, 11). Le sumak kawsay serait ainsi  une  invention de certaines élites indiennes, et sa signification resterait insaisissable au-delà du cercle de ces  élites et de leurs alliés.

Une invention assez récente, comme semble par  ailleurs le suggérer le fait que  l’expression sumak kawsay est  absente du Projet  politique élaboré en 2001  par  la Confédération des  nationalités indiennes de l’Équateur (CONAIE), où il est  cependant question d’une  « Philosophie intégrale » pratiquée par  les « nationalités et les peuples » indiens. Postulant une  « étroite et harmonieuse interrelation » entre « l’homme  et la nature » (CONAIE 2001  : 3), cette « Philosophie intégrale » se présente comme l’équivalent de l’« Humanisme intégral » qui dans le Projet  politique de 1994 servait à exprimer la même idée  de rapports harmonieux entre les humains et la nature (CONAIE 1994  : 11). En revanche, quatre ans  après la promulgation de la Constitution, l’expression sumak kawsay est  mentionnée brièvement dans le Projet  politique de 2012, dans un passage où la Confédération indienne explicite son projet de « construire un État  plurinational (…) susceptible de garantir le sumak kawsay (système de vie) » (CONAIE 2012  : 7). Mentionné de manière marginale dans ce passage, et absente du sous-chapitre consacré à la « Philosophie intégrale »3; la notion de sumak kawsay reçoit ici une  autre traduction en espagnol (sistema de vida),  assez différente de celle  proposée dans les documents officiels  (buen vivir).

En Bolivie, la notion de suma qamaña a pu être également présentée comme une  invention de certains intellectuels aymaras, sans signification précise dans la population aymara. « Le suma qamaña n’existe pas  dans la réalité ethnographique ni populaire. Il n’existe pas  en dehors des  têtes de quelques intellectuels rêveurs »4. L’anthropologue britannique affirme que  les discours sur l’harmonie et la réciprocité dans le cadre d’une  conception holiste de la vie ne reposent sur  aucune base empirique mettant en évidence des  manières de vivre alternatives, incluant des  pratiques économiques, des  manières de travailler et de consommer et des  modes de socialité alternatifs (Spedding 2010  : 2-3). Selon  Spedding, le chercheur contemporain qui entend vérifier sur  le terrain la véracité des  discours sur  la culture indienne « authentique » se heurte invariablement au même résultat : les pratiques anciennes ayant été  abandonnées, il ne peut obtenir que  des  récits de souvenirs d’enfance ou bien  de « ce que  me racontait mon grand-père » (Ibid.,  p. 18).

Pourtant, la question se pose  de savoir de quelles données empiriques il est  question ici. S’agit-il  de données susceptibles de confirmer un sumak kawsay ou un suma qamaña « authentique », pratiqué par  des  « cultures indiennes authentiques » ? Si l’on entend par  « authentique » une  identité culturelle qui n’aurait jamais été  affectée par  d’autres cultures (authenticité = « pureté » identitaire), les données empiriques seront effectivement introuvables. Les cultures « pures » n’existent pas,  ou n’existent que  comme des  fictions de l’imaginaire politique. Des communautés kichwa et aymara qui réaliseraient aujourd’hui pleinement un devoir-être éthico-politique basé sur les principes d’harmonie et de réciprocité n’existent effectivement pas.  En revanche, ce qui existe et demeure donc  susceptible de description dans le cadre des  sciences humaines et sociales, ce sont plutôt des  pratiques diverses et parfois contradictoires, déterminées par  des  strates historiques et culturelles multiples, et se rattachant parfois à des  mémoires sociales porteuses d’un devoir-être éthico-politique. Le sumak kawsay / suma qamaña n’existe nulle  part comme état d’harmonie parfaite, mais  dans certaines pratiques et institutions kichwa ou aymara on peut trouver des éléments constitutifs d’un devoir-être basé, par  exemple, sur  le don,  la réciprocité et l’entraide, et prenant forme  dans la vie de certaines communautés ou ayllus5. Or, l’existence de ces  pratiques et institutions peut être interprétée de diverses manières, qui se rattachent à des  politiques différentes voire  opposées et que  nous  pourrions ramener, quelque peu  schématiquement, à deux  perspectives principales, l’une « culturaliste » et l’autre « interculturelle ».

Sumak kawsay / suma qamaña: perspectives « culturaliste » et « interculturelle »

Dans  la perspective « culturaliste » ces  pratiques sont  le plus  souvent interprétées comme des éléments d’une  identité culturelle « millénaire »6 qui, à la manière d’une  essence, demeure immuable à travers le temps. Détachées d’autres contextes de l’interaction socioculturelle, elles tendent à être idéalisées et perçues comme des  signes d’une  « authenticité » identitaire absolument opposée à d’autres modèles culturels. Cette forme  d’essentialisme donne lieu à un discours marqué par  une  série de dichotomies opposant des  catégories générales et abstraites : le modèle « indien » de civilisation et le modèle « occidental » de civilisation, l’Indien  « authentique » et l’Indien occidentalisé, l’« Indien » et le « Non-indien », la « cosmovision » andine et la « philosophie » ou la « théorie » occidentales, etc.  (Choquehuanca 2010  ; Macas 2010  ; Huanacuni 2010;  Oviedo  2011  et 2014). Sur  le plan  politique, le culturalisme peut s’exprimer de diverses manières, allant des  discours de reconstruction du Tawantinsuyo jusqu’à des  formes d’un multiculturalisme libéral qui confine les « peuples originaires » dans des  territoires fermés — politique qui d’après la sociologue aymara Silvia Rivera  Cusicanqui provient d’une  « réification de la notion d’indigène » (Rivera  Cusicanqui 2016 : 44), visible  dans l’usage même du terme originaire qui « installe les sociétés indiennes à l’origine, dans un espace antérieur à l’histoire, un lieu statique et répétitif dans lequel se reproduisent sans cesse les ‘us et coutumes’ du groupe » (Ibid.).

Dans  la perspective d’interprétation « interculturelle », partagée aussi bien  par  des  Indiens que  par des  non-indiens, les pratiques en question sont  considérées comme un important référent culturel qui doit être valorisé et reconstruit dans le cadre d’un projet éthico-politique interculturel. Préfiguré dans les années 1920  par  José Carlos Mariátegui, qui voyait  dans les structures communautaires andines la base d’un socialisme adapté aux données culturelles du Pérou, ce projet éthico-politique entend associer les éléments subsistants du sumak kawsay / suma qamaña à des  formes de pensée et des  pratiques d’émancipation européennes ou d’autres continents de la planète. L’un des  lieux de cette convergence entre des  formes andines et « occidentales » du devoir-être régissant les modes de vie humains se rapporte à ce qui, exprimé dans un langage occidental, peut être désigné comme principe de protection des  écosystèmes et de sauvegarde de la nature. En « Occident » aujourd’hui, ce principe est  souvent solidaire de la critique des  idées modernes de « progrès » et de « développement », des  théories de la décroissance, de la « post-croissance » ou du « post- développement », de la critique des  formes dévastatrices d’exploitation de la nature — en espagnol : critique de l’extractivismo) (Gudynas 2009  ; Acosta  2012).

Des différences importantes séparent ces  deux  perspectives d’interprétation du sumak kawsay / suma qamaña ou, plus  précisément, du projet éthico-politico de (re)construction d’un modèle de vie alternatif au modèle aujourd’hui hégémonique. Chez les « culturalistes », la reconstruction est souvent comprise comme une  tâche purement « indienne » qui peut seulement être entreprise à partir de référents culturels exclusivement indiens, car  tout  élément culturel occidental serait colonialiste et synonyme d’aliénation et d’oppression7. De l’autre côté, dans de nombreux discours qui entendent affirmer un point  de vue « interculturel » à propos de la reconstruction du sumak kawsay / suma qamaña, la prise en compte des  référents culturels indiens reste souvent marginale — comme dans le Plan de développement équatorien de 2009  — ou bien  purement rhétorique ; dans la pratique, les politiques économiques des  gouvernements équatorien de R. Correa et bolivien  d’E. Morales ne s’écartent guère du modèle dit « occidental » de « développement », et ceci malgré l’opposition de populations indiennes — comme dans le Tipnis  en Bolivie (2011) et dans le Yasuni en Equateur (2013). Ces incohérences des  politiques officielles, critiquées tant par  certains « culturalistes » que  par  certains « interculturalistes » indépendants des  positions politiques des gouvernements, contribuent à rendre le dialogue difficile  entre les deux  perspectives de (re)reconstruction du sumak kawsay / suma qamaña. D’après l’économiste équatorien Alberto Acosta, qui revendique un point  de vue « interculturel », il s’agit  d’un dialogue entre une  conception qui entend la « reconstruction » à partir d’un « savoir ancestral » et serait « trop  tournée vers  le passé », d’une  part, et une  conception qui serait « également en reconstruction et même en construction » et assumerait cette tâche en « se tournant trop  vers  le futur », d’autre part ; le dialogue serait possible seulement dans la mesure où ceux  qui regardent le passé « se tournent un peu  vers  le futur (et le présent) » et où ceux  qui regardent le futur « apportent une  vision  moins béate du passé » (Acosta  2012  : 225).

Buen vivir et critique du capitalisme

La signification de base du sumak kawsay / suma qamaña comme critique culturelle du capitalisme se construit progressivement à partir des  politiques indiennes d’affirmation culturelle et de revendication d’une  reconnaissance publique de la diversité culturelle, dans les années 1990  et 2000. Dans  les premiers textes qui préparent et annoncent ces  politiques les principaux éléments de cette critique sont  déjà  en place, même si le terme « capitalisme » et les notions de sumak kawsay / suma qamaña n’y figurent pas.  Ainsi, en 1984, Nina  Pacari relie  explicitement la résistance culturelle des  Kichwa  à la résistance contre l’exploitation économique : « l’exploitation de l’homme par  l’homme  est  inacceptable, mais  la domination et l’oppression d’un peuple sur  un autre peuple est également inacceptable » (1984 : 147).  S’opposant à ceux  qui pensent que  « les luttes pour  la culture et pour  la langue sont  les moins  importantes » (p. 146)  et qui conçoivent l’oppression indienne à partir du point  de vue exclusif de la lutte des  classes, Pacari souligne que  la lutte pour  la reconnaissance des  identités culturelles fait partie de la lutte générale pour  l’égalité8. Il n’y a pas lieu à opposer les exigences de justice culturelle et de justice socio-économique, dans la mesure où il s’agit  de deux  dimensions d’un seul  et même problème : « nous  faisons partie des  exploités de ce pays, mais  nous  sommes aussi assujettis politiquement et culturellement parce que  nous  sommes des  nationalités opprimées. Notre problème ne relève pas  seulement de la lutte des  classes, mais aussi de la lutte d’un peuple en tant que  peuple. Nous  voulons que  soit reconnue notre existence » (p. 144).  Plus fondamentalement, les deux  exigences de justice se rejoignent, car  la lutte des nationalités indiennes de l’Équateur vise en fin de compte « à changer les structures sociales, et à les changer en profondeur » (p. 146).  Le point  d’articulation entre les deux  exigences renvoie à l’organisation socio-économique de la culture andine préhispanique, dans laquelle « il n’y avait  pas une  claire division  [de la société] en classes, en raison du système de réciprocité et de redistribution des  biens » qui était pratiqué (p. 141).  Plus qu’une société « précapitaliste », la société inca  était une société « anticapitaliste » au sens où elle comportait des  formes de propriété communale, d’entraide et de solidarité sociale qui s’opposent aux principes de base du capitalisme, notamment au principe de l’appropriation privée et accumulative du travail social. Le système socioéconomique inca s’articulait à une  « cosmovision » culturelle établissant le devoir-être d’une  « relation harmonieuse » entre l’univers (Pachamama), la terre (allpamama) et l’humain (runa)  (p. 140)  ; un devoir être qui, au niveau social, s’exprimait «…par des  préceptes moraux comme : ama quilla,  ama llulla, ama shua  (ne sois pas  paresseux, ne mens  pas,  ne vole pas  » (Ibid).  Pacari affirme que  ce devoir-être « se maintient jusqu’à nos jours  parmi nous  tous  » (Ibid) : dans la mémoire culturelle de la nationalité Kichwa  subsisteraient des  éléments d’une  organisation communale qui s’exprimerait dans « des institutions de travail et de production collective comme la minga, la maquipurarina et la yanaparina »9 . De manière implicite, elle rejoint ainsi  le thème traditionnel du « socialisme inca  » ou du « communisme inca  », inauguré dans la décennie 1910  par  les anarchistes péruviens du périodique La Protesta (en Amérique latine) et par  Heinrich Cunow  et Rosa Luxembourg (en Europe), et repris et développé dans les années 1920  notamment par  José Carlos Mariatégui.

L’opposition entre la dimension éthique et redistributive de la mémoire culturelle andine, d’une  part, et le capitalisme, d’autre part, deviendra plus  explicite quelques années plus  tard dans les diverses Déclarations politiques de la CONAIE et d’autres organisations indiennes de la région, ainsi  que dans les réflexions « culturaliste » et « interculturaliste » sur  le sumak kawsay / suma qamaña. Dès sa première Déclaration politique (1994), la CONAIE explicite son opposition frontale au « système économique, politique et idéologique capitaliste » (CONAIE 1994  : 7)10, un système incompatible avec  « l’humanisme intégral » qui serait pratiqué par  les cultures indiennes et postulerait un devoir- être « où l’homme  et la nature sont  dans une  « étroite et harmonieuse interrelation en vue de garantir la vie » (p. 11) ; cet  humanisme s’incarnerait dans le « mode  de vie communautaire » dont les origines remontent aux premières sociétés collectivistes-agraires des  Andes,  et subsisterait aujourd’hui encore, quoique d’une  manière différente, à travers un ensemble de pratiques basées sur la « réciprocité, la solidarité et l’égalité » (Ibid) ; sur  cette base, la CONAIE propose un modèle de société où le corps public  puisse garantir « la satisfaction des  besoins matériels et spirituels (…), permettant le développement humain et la conservation de la nature » (Ibid).  Les mêmes idées se retrouvent, sous  la mention de « philosophie intégrale », dans la Déclaration politique de 2001. L’année suivante, l’ethnologue kichwa amazonien Carlos Viteri Gualinga utilise la notion de « alli káusai » ou « súmac káusai » (sumak kawsay) pour  désigner une  « philosophie de la vie » qui n’est pas  basée sur  « l’accumulation de biens matériels » et qui, dès  lors,  s’oppose à l’idée du « développement » compris simplement comme un accroissement de bien-être matériel par l’intégration des  sociétés indiennes à l’économie de marché — intégration qui signifierait l’abandon de leurs « traditions non rentables »11. La critique que fait à l’époque Viteri Gualinga du modèle de vie basé sur l’accumulation de biens matériels ne s’appuie pas seulement sur ses effets négatifs sur l’habitat de son peuple (la dévastation de la forêt amazonienne par les multinationales du pétrole), mais surtout sur le constat du vide de sens qu’un tel modèle vie suppose. Dans les sociétés indiennes — affirme Viteri Gualinga — « le sens qu’a et doit avoir la vie des personnes »12 n’est pas la quête du « développement » des  biens matériels mais  la création des  « conditions matérielles et spirituelles pour  construire et maintenir le ‘buen  vivir’, qui se définit aussi comme ‘vie harmonieuse’ ou, dans la langue runa  shimi  (quichua), comme ‘alli káusai’  ou ‘súmac káusai’  » (Ibid). Un an plus  tard, en 2003, les termes sumak kawsay apparaissent dans un document d’une organisation kichwa de l’Amazonie13, qui lutte contre l’implantation des  sociétés pétrolières dans la région du Sarayaku : le sumak kawsay y est  présenté comme une  « maxime de vie » permettant de construire l’harmonie avec  soi-même et avec  la nature, et présupposant une  compréhension spirituelle de la nature comme un « être vivant  » pourvu d’ « esprit » ; implicitement mais clairement, le document oppose la logique utilitariste et marchande qui sous-tend l’exploitation du pétrole à l’exigence de respect du milieu  naturel, laquelle serait à la base d’ordre « spirituel ». Au cours des  années suivantes, l’esprit anticapitaliste du sumak kawsay continue de s’affirmer en Équateur : en 2007, dans ses  Propositions en vue de l’Assemblée constituante, la CONAIE affirme qu’il est  « nécessaire de faire  des  ruptures avec  les postulats du système capitaliste, dont  l’activité est centrée sur  l’exploitation des  êtres humains et de la nature. [Nous  défendons] une  proposition où les droits à la vie et à la survie priment sur  le droit du capital »14. Dans  la même perspective, Acosta signale la nécessité de « dépasser le capitalisme et ses  logiques de dévastation sociale et environnementale » (Acosta  2012  : 47); le Buen  vivir,  par  ses  « racines communautaires non capitalistes » (p. 65), représente une  « proposition de civilisation (civilizatoria) qui reconfigure un horizon de sortie du capitalisme » (p. 69).

Dans  tous  ces  textes, la critique culturelle du capitalisme s’appuie souvent — notamment dans la perspective « culturaliste » — sur  une  référence à la dimension du « spirituel », considérée dans son rapport au « matériel » comme l’une des  dimensions constitutives de l’humain. Plutôt marginale dans l’orientation « interculturelle », où elle peut néanmoins être pensée et exprimée différemment, cette référence au « spirituel » se rattache aux mémoires culturelles andines et amazoniennes.  Il s’agit  de mémoires longues, porteuses de savoirs et de croyances relatives à un ordre cosmique et comportant l’idée d’un devoir-être qui règle les rapports des  humains entre eux et entre les humains et l’ensemble du cosmos, et dont  la nature serait d’ordre « spirituel ». Des mémoires porteuses d’une  sensibilité partagée et d’une  raison non rationaliste, éloignée en ceci du modèle de raison des Lumières et de ses  héritages positiviste, évolutionniste et scientiste qui marquent la tradition hégémonique de l’anticapitalisme occidental. À distance de la disqualification rationaliste du « spirituel » comme de l’ « irrationnel », ces  mémoires culturelles non-occidentales signalent précisément que  l’absence d’« esprit » est  non seulement la caractéristique générale des  sociétés capitalistes mais  aussi, et plus  fondamentalement, la racine de la vision  spécifiquement capitaliste du monde. La critique culturelle du capitalisme dans les discours du sumak kawsay / suma qamaña vise une  société sans esprit, où toute spiritualité est  noyée  dans ce que  Marx  nommait « l’eau glaciale du calcul égoïste » (Marx  2005  : 401).  Dans  cette perspective, la sortie du modèle de « civilisation » (cambio civilizatorio) aujourd’hui dominant équivaut au passage du capitalisme, société sans esprit, à une  société où règne l’esprit. Mais que  peut-on entendre par  « esprit » et par « spiritualité » ? Il serait difficile  de trouver dans les textes relatifs au sumak kawsay / suma qamaña une  approche tant soit peu  systématique de ces  notions. Il est  néanmoins possible d’identifier un certain nombre d’éléments de signification dont, en premier lieu, ceux  qui se rattachent au rapport de différenciation et de complémentarité entre le « spirituel » et le « matériel ».

« Matérialité » et « spiritualité » du Buen vivir

Dans  les textes du sumak kawsay / suma qamaña le terme « matériel » a le plus  souvent la signification de « besoins matériels » (CONAIE), « biens matériels » (Albó), « richesse matérielle » (Mamani). Le « matériel » est  donc  associé de manière générale à l’« économique » (Albó), au tangible (Ascarrunz, Huanacuni), à l’ « objet  » (Medina), au quantifiable (Ascarrunz, Medina), à l’utile  (Ascarrunz), au consommable (Vega),  à ce qui est  susceptible de possession, bref  à l’Avoir (Vega).  Tous ces  textes valorisent le « matériel » comme l’une des  conditions du sumak kawsay / suma qamaña, mais  rejettent l’institution de l’Avoir comme finalité absolue de la vie humaine. Or l’Avoir n’est  institué comme finalité ultime de la vie humaine que  dans un modèle particulier d’économie où tend à se généraliser un type  spécifique de subjectivité que  C.B. Macpherson a nommée individualiste possessive et qui est  corrélative à la possessive market society ou, en d’autres termes, à la société capitaliste (Macpherson 2004). Le capitalisme assigne au « matériel » ou à l’étant en général le statut de chose appropriable de manière privée et accumulative (Vega).  Il désenchante la terre et la transforme en simple « marchandise, ou moyen  de production, ou objet  de spéculation », et pose  l’argent au « centre de tout  » (Puente 360-362) ; la nature et l’humain deviennent dès  lors des  « ressources » dans le jeu de la marchandisation (mercantilización) des choses et de l’être humain (Macas 452)  ; la valeur d’échange prime sur  la valeur d’usage (Vega) ; l’exploitation du grand nombre est  corrélative à la « concentration de la richesse dans quelques mains » (Puente) ; l’économie se réduit à la « logique du calcul de l’utilité et du profit  maximum » qui est  recherché « principalement dans le capital non-productif, en particulier le capital financier » (Vega) ; l’Avoir, base de la vie humaine, se retourne contre la vie humaine en devenant finalité ultime. Resignifié comme Capital, il détermine un mode  de vie sous-tendu par  « l’égoïsme, le désintérêt pour  les autres, l’individualisme et le souci  exclusif du profit  » (Puente 360-362), ou par « l’arrogance du pur  avoir  (puro  tener), de l’accumulation et de la consommation » (Vega 131)15.

À partir de ce contexte, le « spirituel » dit ce qui est  irréductible au capital, à la « valeur » marchande, au tangible, au quantifiable. Le spirituel relève du qualitatif et, plus  précisément, de la qualité de la socialité humaine et de la relation humaine avec  le monde dit naturel. Par  delà  le « modèle capitaliste et son irrationnelle logique consumériste » (Casas 2011  : 338),  le Vivir Bien  est un « appel à un vivre-ensemble (convivencia) harmonieux et solidaire » basé sur  des  éléments qui « ne se comptabilisent pas  : un environnement équilibré et non détérioré, le temps libre, la distribution de la rente, les attentes portant sur  l’avenir et le bonheur, parmi d’autres » (Ibid).  Le Vivir Bien  « conçoit le bien-être à partir d’horizons qui ne sont  pas  exclusivement matériels mais intangibles — affectivité, identité, environnement, solidarité et vie communautaire » (Ascarrunz 2011  : 426).  Dans  les termes du linguiste et anthropologue Xavier Albó, « le suma qamaña implique une  forte composante éthique, une  reconnaissance de la valeur de l’autre, une  estime de celui  qui est différent et une  spiritualité »16. D’après Albó, dans la culture aymara les notions d’« éthique » et de « spiritualité » se co-appartiennent : aux « biens spirituels » appartiennent « les échanges de réciprocité », c’est-dire une  forme  spécifique de relation : réciprocité dans les relations sociales, où elle est  chargée d’estime et de sympathie, et réciprocité dans les relations avec  la Nature, lesquelles sont  personnalisées et affectives. La Nature est  comprise rationnellement et affectivement comme Pacha Mama  (Ibid) : « Vivre Bien, c’est  considérer et traiter la terre comme mère et non pas  comme marchandise » (Puente : 360),  la concevoir comme un être susceptible de droits : les Droits  de la nature (Acosta  2012  : 113)  ou Droits  de la Terre Mère17 — qui sont  reconnus comme tels  dans la Constitution équatorienne. En tant que  relation de commune union  — de « communion » — avec  les autres et avec  la nature, le « spirituel » possède d’emblée une  dimension éthico-politique : comme le signale Pablo  Mamani, la notion de suma qamaña possède « une  connotation morale, philosophique, éthique, esthétique », en vertu de laquelle les personnes sont  invitées à partager leur  « richesse matérielle » et leur  « richesse spirituelle » avec  les autres (Mamani 2011:  68-70),  de telle  sorte qu’il n’y ait « ni misérables ni puissants » (Ibid.,  74). Par  « richesse spirituelle », Mamani entend une manière de se tenir profondément lié à « l’intersubjetivité entre les hommes-femmes, au sein  d’une relation équilibrée avec  la nature » (Ibid.,  69). Le terme qamaña signifie littéralement, d’après Mamani, « vivre » (68). Albó précise cependant que  « vivre » n’a pas  ici la signification de « to live », en anglais — qui se dit en aymara jaka-ña  — mais  plutôt de « to dwell  »: « habiter, demeurer », et ajoute que  qamaña est  aussi le nom qu’on donne à un endroit abrité et protégé des  vents, construit avec  des  pierres disposées de manière semi-circulaire, et destiné aux bergers qui peuvent ainsi veiller sur  leur  troupeau pendant leur  repos. Dans  ses  différents niveaux de signification, qamaña indique le fait de « vivre,  de demeurer, de se reposer, de s’abriter et de veiller sur  les autres ». Cette connotation éthique du terme s’étend, de manière non explicite selon  Albó, au « vivre ensemble (convivencia) avec  la nature, la Terre Mère  ou Pacha Mama  » (133-135).

La revendication du « spirituel » dans le sumak kawsay / suma qamaña vise, par  conséquent, à décentrer le Capital comme centre de la vie et à construire un nouveau modèle de civilisation fondé sur  quelque chose qui n’est  ni tangible ni quantifiable : la qualité de la relation interhumaine et de la relation humaine avec  la nature. Le « spirituel » n’est  pas  non plus  un « monde » qui serait distinct des  mondes « biophysiques » et « humains » (Escobar 2010), mais  plutôt notre relation originaire avec le bios et la physis, avec  l’être et le non-être. Dans  un vocabulaire philosophique dit « occidental », il peut correspondre aussi à « l’interpénétration intensive » évoquée par  Benjamin à propos du poétique, dans laquelle « on ne peut jamais saisir les éléments à l’état pur,  mais seulement la structure relationnelle où l’identité de l’essence singulière est  fonction d’une  chaîne infinie  de séries » (Benjamin 2011  : 104).  La « substance » du « spirituel » est  l’être-en-relation et, plus  précisément, un mode  de relation où se construit une  commune union  avec  l’autre, les autres, le tout  de l’expérience. Dans  les discours sur  le sumak kawsay / suma qamaña cette signification centrale du « spirituel » qui sous-tend la critique culturelle du capitalisme est  parfois explicite — en particulier chez  les auteurs « indiens » ou s’auto-identifiant comme « indiens » — et s’exprime dans les langages de savoirs multiples où s’entremêlent des  croyances sur  le Tout et des normativités éthico-sociales ; elle est  souvent implicite — en général chez  les auteurs « non-indiens » — et se dit alors dans les langages de l’éthique et du philosophique dit « occidental ».

Le spirituel « explicite » a pu être assimilé à du « Pachamamisme » par  certains auteurs qui partent de présupposés épistémiques de type  positiviste, non exempts de contenus européo-centristes ; le terme pachamamisme, qui peut désigner au départ certaines formes culturalistes d’idéologisation et donc  de simplification des  modes de spiritualité des  cultures indiennes, est  utilisé par  ces  auteurs pour  rejeter en général la dimension spirituelle comme telle  — privant ainsi  l’anticapitalisme du soubassement épistémique-culturel de l’être-en-relation. Le spirituel « implicite » de l’éthique moderne anticapitaliste se rattache aux dimensions de l’altérité et du possible qui sont  à la base de cette éthique, dont  le sens a été  assez clairement explicité par  Emmanuel Lévinas : « La vie spirituelle est  essentiellement vie morale et son lieu de prédilection est  l’économique » (Lévinas 1976  : 87). Il n’y a pas  lieu d’opposer le spirituel et le moral, pas  plus  que  le spirituel à l’économique, car  le spirituel se déploie dans l’économique, c’est-à-dire dans la relation éthique avec les autres. Il s’agit  ici d’une  conception du spirituel où, comme le suggère Fernando Vega, peuvent se croiser les perspectives du sumak kawsay / suma qamaña et de la théologie latino-américaine de la libération : « la théologie de la libération a développé (…) une  spiritualité de l’être et du partager, (…) du sujet humain concret » (Vega 2012  : 131),  un sujet défini  en situation et essentiellement lié aux autres. Le « spirituel » de l’éthique se vérifie  dans l’accueil de l’autre en tant qu’Autre, c’est-a- dire  en tant qu’altérité qui transcende notre point  de vue établi sur  le monde. L’éthique est décentrement du Même  auto-institué en référent absolu de la « vérité ». Dans  cette perspective, Arturo Escobar a raison de dire  que  « l’émergence du pachamamique /relationnel [représente] un défi frontal au régime moderne de vérité »18. Par  delà  les dérives de « pachamamisme », la compréhension de la nature comme Pachamama est  porteuse d’une  prétention à la vérité qui ouvre un champ de possibles que  le régime moderne de vérité a traditionnellement exclu  comme non- savoir.

Les  deux apports du sumak kawsay / suma qamaña

Contre cette exclusion qui est  à la fois épistémique et politique (formes coloniale et post-coloniale de domination), le principal apport des  notions de sumak kawsay / suma qamaña est  peut-être celui d’indiquer qu’une « politique qui affirme que  beaucoup de mondes sont  possibles — une  politique pour le plurivers — nécessite des  épistémologies qui acceptent que  beaucoup de connaissances sont possibles » (Escobar : 15).

Lié au précédent, l’autre apport fondamental du sumak kawsay / suma qamaña concerne la compréhension de la crise contemporaine qui affecte notre planète. À l’instar d’autres pensées qui ont apparu de par  le monde depuis le dernier quart de siècle, la perspective du sumak kawsay / suma qamaña suppose la conscience que  la crise actuelle n’est  pas  seulement d’ordre économique, écologique ou politique, mais  aussi, et plus  radicalement, d’ordre « civilisationnel » ou culturel et affecte, par  conséquent, les modes de vie et la manière de comprendre la vie humaine dans le monde. Mais à la différence de maints discours contemporains sur  la « crise de la civilisation », le sumak kawsay / suma qamaña propose une  description relativement précise du modèle « civilisationnel » qui est  en crise ainsi  qu’un  nom pour  le désigner : le capitalisme comme vision  du monde ou, plus  précisément, comme idéologie — les noms  « Occident » et « Modernité », présents dans certaines approches culturalistes, renvoient pour  l’essentiel, comme nous  l’avons  vu, à l’Occident et à la Modernité capitalistes. Le sumak kawsay / suma qamaña ne se réduit donc  pas  à l’augmentation du bien-être matériel des  populations par  des  politiques publiques de « développement durable », de planification et de redistribution de la richesse : il suppose également d’autres manières de vivre et de consommer, impliquant d’autres formes de socialité et de rapports avec  la nature, et donc  d’autres modes de compréhension de la condition humaine et d’autres pensées du réel  ; en un mot,  il suppose un cambio civilizatorio. Dans  la perspective du sumak kawsay / suma qamaña la crise contemporaine est  celle  du modèle « civilisationnel » capitaliste, ce qui signifie qu’il n’y aura pas  de sortie possible du capitalisme (privé  ou d’État) sans une  transformation culturelle impliquant un nouveau rapport avec  le « matériel » et le « spirituel ». Ainsi, malgré les tentatives de récupération par  des  discours étatiques ou de certaines  ONG internationales, la perspective du sumak kawsay / suma qamaña, dans ses  deux  variantes « culturaliste » et « interculturaliste », opère une  critique culturelle du capitalisme.


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VITERI GUALINGA, Carlos, (2003). « Súmak Káusai. Una respuesta viable  al desarrollo ». Diserta- ción de Licenciatura. Quito:  Universidad Politécnica Salesiana.

YAMPARA, Simon  (2016), Suma Qama Qamaña. Paradigma cosmo-biótico Tiwanakuta. Critica  al sistema mercantil kapitalista. La Paz : Ediciones Qamañ Pacha.


Notes

  1. « Le concept du Buen Vivir n’a pas seulement un ancrage historique dans le monde indien ; il peut également s’appuyer sur d’autres principes philosophiques : aristotéliciens, marxistes, écologistes, féministes, coopérativistes, humanistes… » (Acosta 2012 : 28).
  2. Movimiento de Unidad Plurinacional Pachakutik (MUPP), crée en 1995. En langue kichwa « pachakutik » peut être traduit entre autres par « renversement » ou « transformation ».
  3. Dans ce sous-chapitre on peut lire seulement que la sagesse, le faire, l’énergie et le vouloir «…confluent vers le centre du Grand Ordonnateur de la vie pour la constitution du Kawsay » (CONAIE 2012 : 9). Toutes les traductions dans ce texte sont de l’auteur.
  4. Alison Sppeding, citée dans : (Crespo Flores 2013 : 12).
  5. Des études descriptives et des recueils de témoignages attestent de la réalité contemporaine de ces pratiques dans la vie de nombreuses communautés andines et amazoniennes de la Bolivie, du Pérou et de l’Equateur (Rengifo 2002 ; Viteri 2003).
  6. Le modèle de civilisation des « peuples ancestraux » serait « millénaire », alors que le modèle « occidental » de civilisation ne serait que « centenaire » (Yampara 2016 : 98).
  7. Les « identités » occidentale et andine «… configurent deux systèmes de vie qui ne peuvent pas du tout se rencontrer (radicalmente desencontrados) (…) [Ils] représentent deux chemins différents qui sont le produit de deux ontologies totalement disparates. C’est comme prétendre l’union de l’eau et de l’huile (…)[qui] ne doivent pas être confondues, à l’instar du sumak kawsay [indien] et du Buen Vivir [occidental]» (Oviedo 2014).
  8. « En luttant pour notre culture et notre langue, nous sommes en train d’exprimer notre désir d’être reconnus sur un plan d’égalité comme des peuples différents, comme des nationalités » (Pacari 1984 : 146. Souligné par AGM).
  9. Minga : travail de l’ensemble de la communauté visant un bien commun ; maquipurarina : réciprocité ; yanaparina : solidarité (Pacari 1984 : 140).
  10. Les mêmes termes seront repris dans la Déclaration politique de 2001, qui affirme que « l’actuel mode de production capitaliste doit être nécessairement substitué par un autre système supérieur comme l’est le modèle de développement économique de l’Etat plurinational, afin de pouvoir remédier aux graves problèmes économiques, politiques, culturels, environnementaux, démographiques et sociaux qui affectent le pays » (CONAIE 2001 : 33).
  11. « …une insinuation implicite que le dépassement de la ‘pauvreté’ indienne suppose l’accès aux ‘bénéfices de la modernité’, dont le chemin passe par ‘l’intégration au marché’ et mène directement au développement. Pour cela, les Indiens doivent cesser d’insister sur leurs ‘traditions non rentables’… » (Viteri Gualinga 2002).
  12. «….le sens que la vie des personnes a et doit avoir …» (Viteri Gualinga 2002).
  13. Il s’agit de Sarayaku Sumak Kawsayta Ñawpakma Katina Killka / El libro de la vida de Sarayaku para defender nuestro futuro, édité par le « Territorio Autónomo de la Nación Originaria del Pueblo Kichwa de Sarayaku ». Voir : (Altmann 2013 : 291 ; Almeida et all. 2005 : 95).
  14. (CONAIE 2007 : 20). Le texte ajoute plus loin que « la biodiversité et la nature ne sont pas une marchandise de plus qu’on achète et vend et qu’on exploite irrationnellement ; la nature est la pachamama, nous faisons partie d’elle… » (Ibid).
  15. Pour une interprétation de ces phénomènes dans le cadre d’une critique culturelle du capitalisme, nous renvoyons à notre ouvrage Nihilisme et capitalisme (Gomez-Muller 2017).
  16. « El suma qamaña implica un fuerte componente ético, una valoración y aprecio del otro distinto, y una espiritualidad » (Albó 2011: 137).
  17. Voir l’Accord des Peuples établi lors de la Conférence Mondiale des Peuples sur le Changement Climatique et les Droits de la Mère Terre, à Cochabamba (Bolivie) le 19-22 avril 2010, en réponse à l’Accord de Copenhague de décembre 2009. Parmi d’autres points, le texte affirme : « Le système capitaliste nous a imposé une logique de concurrence, de progrès et de croissance illimitée. Ce régime de production et de consommation cherche le profit sans limites, en séparant l’être humain de la nature, en établissant une logique de domination sur cette dernière, en convertissant tout en marchandise: l’eau, la terre, le génome humain, les cultures ancestrales, la biodiversité, la justice, l’éthique, les droits des peuples, la mort et la vie elle- même (…). Sous le capitalisme, la Terre Mère devient seulement une source de matières premières, alors que les êtres humains sont transformés en moyens de production et en consommateurs, des personnes qui valent pour ce qu’elles ont et non pour ce qu’elles sont (…). Nous avons besoin de l’établissement d’un nouveau système qui rétablisse l’harmonie avec la nature et entre les êtres humains. Il ne peut y avoir d’équilibre avec la nature que s’il existe de l’équité entre les êtres humains (…). Nous invitons les peuples du monde à la récupération, la revalorisation et de renforcement des connaissances, sagesses et pratiques ancestrales des Peuples Indiens, lesquelles sont affirmées dans l’expérience et la proposition du «Vivre bien», en reconnaissant la Terre Mère comme un être vivant, avec lequel nous entretenons une relation indivisible, interdépendante, complémentaire et spirituelle (Acuerdo de los Pueblos 2010).
  18. « Et c’est précisément cela qui se met en jeu avec l’émergence du pachamámico /relacional: un défi frontal au régime moderne de vérité, qui ébranle tout le moderne – et peut-être particulièrement ses versions universitaires, de quelque côté que ce soit du spectre politique – ; il vient briser l’histoire usuelle de la connaissance » (Escobar 2010 : 14).

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